Je marche nonchalamment, quelque peu irritée d’avoir oublié mes écouteurs sur mon bureau. Erreur impardonnable, car comme ça je peux entendre les gens autour de moi parler, rire ou se plaindre de leur boulot. Beaucoup d’entre eux tirent sur leurs cigarettes achetées du « Stop & Shop » du coin, évitant leur propre fumée flottant dans l’air humide malgré la chaleur estivale. D’autres ont les yeux rivés sur l’écran de leur téléphone portable, parcourant leur fil d’actualité avec un air absent.
Je continue de marcher, cherchant un petit coin perdu où me poser au calme, loin de la foule agitée. En passant par la sortie du parking en sous-sol, j’entends des voix s’élever. Les prémices d’une dispute entre un homme et une femme. Je jette un coup d’œil rapide. Lui, fin de la quarantaine voire cinquantaine, costume-cravate, gros bide, ses mains s’agitant dans tous les sens. Elle, la trentaine, tenue décontractée, son visage crispé sous la colère.
Je ne comprends pas très bien quelle est la cause de leur dispute, mais les quelques mots que j’arrive à déceler de celle-ci laissent comprendre que l’un des deux a stationné sa voiture à la place de l’autre. Ces conducteurs et leurs problèmes de voiture alors… Je me réjouis secrètement de ne pas posséder de voiture et continue de marcher, quand j’entends très distinctement ces mots prononcés sur un ton dédaigneux :
« C’est la place qui me convient le plus, je travaille juste à côté, j’ai un boulot moi ok ? Un vrai boulot ! Pas un centre d’appels ! »
Je m’arrête de marcher et me retourne. Je vois l’homme s’éloigner et la jeune femme descendre de sa voiture et lui emboîter le pas.
« Monsieur ! Monsieur ! »
Il continue de marcher rapidement.
« Malou centre d’appels ? Malou centre d’appels ?! »
Il ne lui fait pas face, quelque peu honteux. La jeune femme lui lance encore quelques répliques sur un ton coléreux. Je me retourne et trace ma route, pensant aux mots que cet homme a utilisés contre cette femme pour la mépriser.
Être conseiller client dans un centre d’appels au Maroc n’est sûrement pas le plus facile des boulots à exercer. Entre les horaires stricts, les clients en colère, les objectifs durs à réaliser et les jours de repos restreints, le stress ne manque pas. Ajoutons à cela le mépris que certaines personnes osent exprimer gratuitement à votre égard, et on se retrouve avec des dégâts émotionnels qu’on ne peut juste pas négliger.
Monsieur « costume-cravate-vrai-boulot » a-t-il déjà entendu parler de respect ? S’embrouiller avec quelqu’un à cause d’une place au parking est une chose, lui manquer de respect en est une autre.
Occuper un « bon poste » dans une « bonne boîte » ne nous autorise pas à traiter les autres comme des citoyens de seconde zone. Certains sont conseillers clients par obligation, d’autres le sont par choix. Tous apprécient le côté humain de leur métier, dont le but n’est rien d’autre que celui de faciliter la vie des clients, c’est-à-dire tout le monde.
Certains sont titulaires de diplômes de grandes écoles, ont fait de longues études et n’ont juste pas trouvé d’alternative, avec le taux de chômage au Maroc qui ne cesse de grimper.
Ce n’est pas pour victimiser les gens qui travaillent dans des centres d’appels ; c’est pour dire : apprenons le respect.
La condescendance ne nous apporde rien car en tant que salarié, on est tout aussi aux ordres de quelqu’un d’autre, et ce n’est pas un meilleur salaire qui y changera quelque chose.
La vraie pauvreté qui existe c’est notre ignorance, notre orgueil et le mépris d’autrui.
Mofaddel Abderrahim