C’est un SDF, très gentil, qui se met non loin d’une boulangerie de Gueliz.
Il ne tend jamais la main, il ne demande rien… Il est juste là à regarder dans le vide quelque chose que seul lui voit…
Avec le temps, les gens ont su qu’il était SDF et ont commencé à lui donner quelques dirhams en sortant de la boulangerie. Moi aussi je faisais la même chose sans plus. Mais, il y a 4 mois, j’ai décidé de lui parler et il a accepté.
Au départ, je croyais qu’il était muet comme il ne disait jamais merci à ceux qui lui donnaient quelque chose. Il se contentait d’un léger sourire en guise de remerciement.
Son histoire
En parlant avec lui, j’ai découvert un mec instruit qui parle un français impeccable. Il était salarié d’un hôtel qui a fait faillite. Tout le monde a été licencié et à presque 60 ans il n’a pas pu se trouver un boulot. Les dettes se sont accumulées, s’en suivit un divorce et la banque a vendu sa maison qu’il avait acheté à crédit… Et ce fut la descente aux enfers !
Malgré cette expérience douloureuse et sa situation difficile, il est toujours propre. Je lui ai demandé ou il habitait, il m’a proposé de m’y emmener. C’était à l’entrée d’une des toilettes publiques désaffectées et fermée, située dans un sous-sol en plein Gueliz. Il avait nettoyé le coin impeccablement et y avait installé une tente Quechua. « Pour une personne », a-t-il précisé.
Avant de commencer à parler, il a sorti son paquet de cigarettes et s’en est allumé une, doucement. Tout d’un coup, il s’est rendu compte qu’il avait oublié de m’en proposer une. Alors il m’a dit : « Désolé, j’aurais dû t’en proposer une avant d’allumer la mienne. »
J’ai répondu : « Pas de soucis, je ne fume pas. »
Il a souri et j’en ai profité pour lui raconter l’histoire très connue entre Hassan II et un journaliste français venant l’interviewer.
Juste avant l’interview, Hassan II, allume une clope, et tout d’un coup il se rend compte comme mon ami, le SDF, qu’il n’avait pas proposé une cigarette au journaliste.
Alors Hassan II, avec son flegme habituel, tend une clope au journaliste et lui dit « Je me suis empoisonné le premier. »
C’était sa façon intelligente d’effacer cette maladresse.
Mon ami le SDF, a trouvé cette histoire marrante et m’a dit « Puisque ça m’arrive souvent, maintenant chaque fois que j’oublie, je dirai comme Hassan II » Je me suis empoisonné le premier ! »
Je l’ai quitté tout en réfléchissant à la meilleure manière de lui rendre sa dignité.
Alors, le lendemain je suis allé voir l’un des responsables de l’organisme publique dont dépendait ces toilettes publiques et je lui ai dit : « Vous avez plein de toilettes publiques fermées alors que Marrakech est une ville touristique : c’est inadmissible ! »
Il m’a répondu : « Oui, mais notre problème, c’est que nous n’avons pas le budget pour embaucher les gardiens et les nettoyeurs de ces lieux, alors on préfère les fermer. »
Moi : « Je vais trouver une solution pour un de ceux de Gueliz, sans que vous soyez obligé de payer un centime. »
Lui : » Ok ! »
Je suis revenu vers mon ami le SDF et lui ai raconté l’histoire. Je lui ai expliqué le Business Plan de ces toilettes dont il occupait l’entrée et comment la gérer pour lui permettre d’en vivre dignement.
Il a accepté.
Le lendemain, je suis reparti voir les responsables. Ils ont accepté de donner ces toilettes en gestion libre avec un tarif négocié de 2 dhs qu’il pourrait percevoir par personne et qu’il garderait pour lui-même en contre partie d’un cahier de charge pour le nettoyage et la sécurité des lieux.
Une semaine après, le contrat a été signé entre ces responsables et le SDF.
Je l’ai laissé se débrouiller pour le reste. Une semaine après, il m’a appelé pour l’inauguration. Je suis parti et j’ai trouvé le coin métamorphosé. Il l’a impeccablement nettoyé : de l’eau de javel, des savonnettes, l’essentiel pour se soulager, des bidons de peintures recyclés en pots de fleurs à l’entrée, et lui habillé comme un agent de réception d’un hôtel… Pas comme les habituels M. Pipi qu’on trouve dans les bars et autres restos de nos villes.
On était juste tous les deux. Il a mis un minuscule fil rouge à l’entrée et il m’a donné une petit paire de ciseaux d’écolier pour le couper.
J’ai joué le jeu pour lui faire plaisir et il m’a autorisé à être le premier client à utiliser ses nouvelles toilettes publiques relookées.
C’était sa manière de me dire merci.
C’était pour moi le premier établissement social que j’ai eu honneur d’inaugurer. Certes sans strass ni paillettes mais avec beaucoup de cœur… Le SDF avait apprécié mon humble geste… et j’en étais ému !
4 mois après, le business marche. Il est heureux de son nouveau job. Il gagne suffisamment pour payer le loyer de son petit appartement dans un quartier populaire et à aider ses enfants à poursuivre leurs études.
Si je raconte cette histoire, ce n’est pas pour me vanter de quoi que ce soit.
Le bonheur d’aider cette personne me suffit largement, mais beaucoup d’ami(e)s à qui j’ai raconté cette aventure ont insisté pour que je la partage afin de peut être inspirer les autres.
Alors, vous aussi, si vous voyez un mec ou une nana qui paraît complètement déglingué, tendez lui la main et faites juste ce que vous pouviez faire. Car dans chaque être humain, quelle que soit sa situation sociale, se cache un trésor de créativité.